" Etre apprenti...jadis .
Sans être très bavard, (c'est le moins qu'on puisse dire) , mon mari parlait assez souvent de sa jeunesse et notamment de cette période d'apprentissage en charcuterie, alors qu'il avait à peine 15 ans...Certains devaient commencer à travailler très tôt pour soulager les finances de la famille ! Aussi, lorsqu'il y avait un peu de "tiraillement" avec nos enfants, il leur racontait...
Les métiers de l'alimentation sont des métiers assez durs et à cette époque, les lois sociales n'avaient pas encore vu le jour...C'était au début des années 1930. Il était "logé et nourri"...Logé ? dans une mansarde au 6ème étage, sans confort. Je ne me souviens pas s'il y était seul ou avec d'autres apprentis, mais il était accompagné de...punaises ! ça, c'était un mauvais souvenir ! L'hygiène était alors...ce qu'elle était ! Le chef, car il y a une hiérarchie dans ce métier, était tout-puissant...Il distribuait le travail, les coups de pied aux fesses et autres petits bonheurs... A la table commune, le chef était servi en premier et ça allait en ordre décroissant, le plus jeune apprenti étant servi en dernier...Oui, mais...lorsque le chef avait terminé...tout le monde devait se lever et reprendre le travail...Vous n'aviez pas terminé le repas ? aucune importance ! A la limite, les patrons étaient beaucoup plus compréhensifs.... A PARIS, les laboratoires (cuisines) se trouvent au sous-sol, sous la boutique. L'apprenti montait les plats à installer et quand il n'allait pas assez vite...le chef le piquait avec la pointe d'un couteau, sans lui faire grand mal bien sûr, mais simplement pour lui faire grimper plus vite les marches...celles-ci étant glissantes de gras, les chutes n'étaient pas rares et les plats étaient cassés ! Alors, comme je l'ai déjà indiqué, c'était "à retenir" sur la paie déjà tellement minime d'un apprenti ! Les journées étaient longues, très, du matin très tôt au soir très tard...On ne quittait le laboratoire qu'après que tout fut propre et bien rangé....Mon mari racontait que l'hiver, il ne voyait pas le jour : le matin, le jour n'était pas encore levé et le soir...il faisait nuit depuis très longtemps quand il remontait du sous-sol !
Tous les ans, il changeait de charcuterie, ce qui était nécessaire pour l'avancement. Tout était inscrit sur un carnet d'apprentissage...Lorsqu'il a débuté, les charcuteries ne fermaient que le jour du Vendredi Saint...Il avait un dimanche après-midi de temps en temps et venait voir ses parents en banlieue. Puis, en 1936, tout a changé ! c'était un peu plus réglementé et surtout, il n'était plus le "petit" apprenti...Il avait eu un chef qui était dur et même méchant et avait été très content de quitter cette charcuterie. L'année d'après, en se présentant dans une autre maison, il est reçu par le patron qui n'était autre...que son ancien chef qui venait de reprendre la charcuterie de son beau-père ! Et là, surprise, cet homme si dur s'est révélé être un patron très agréable et compréhensif. Ce fut un bon souvenir...Dans une autre maison, la dernière qu'il ait fait avant l'occupation, les patrons avaient deux fils de l'âge de mon mari. Ceux-ci allaient au Lycée, mais avaient noué des liens amicaux avec l'employé de leur père, et la famille l'emmenait en week-end très souvent. J'ai connu ces gens, tellement gentils et humains...
Et voilà, c'était la vie d'un apprenti jadis...Mon mari racontait, mais ne se plaignait pas...C'était ainsi ! Tout ça pour faire carrière dans une toute autre branche ! Mais, je vous avouerai que j'en ai tiré bénéfice...mon mari savait très bien faire la cuisine, préparer de jolis plats et cela a été appréciable pour les baptêmes, les communions, les fêtes de famille ! "
J'avais intitulé cet article "Souvenirs par procuration..." Ce ne sont pas les miens, mais ceux qui étaient racontés par mon mari. Et, c'était ainsi encore dans les années 1930. Heureusement que les lois sociales ont vu le jour, c'était indispensable ! Et je crois que, à notre époque, l'apprentissage est mieux organisé et contrôlé ! Personnellement, je crois que c'est une excellente formation qui peut mener un jeune à des postes de responsabilités. Connaître son métier depuis la base est une expérience professionnelle formidable. Et cela peut très bien se doubler de cours d'études générales. Et si c'était mieux qu'un bac non suivi d'autres études ? Nos jeunes y gagneraient peut-être en débouchés autres que le chômage ?
Si j'ai reproduit cet article, ce n'est pas par "misérabilisme". D'ailleurs, j'avais eu la chance de prendre une autre voie...C'est pour comparer deux époques et faire comprendre aux jeunes qu'on n'a rien sans rien. Il faut toujours payer de sa personne, d'une façon ou d'une autre. Les lois sociales sont faites pour réglementer ce qui a besoin de l'être heureusement. La vie n'est pas simple et elle n'a pas toujours été simple pour leurs parents. Le travail n'est pas facile à trouver à notre époque, autant mettre toutes les chances de son côté...et pour ça...il y a des sacrifices à faire...Pour ceux qui font des études longues, ou pour les apprentis...les sacrifices s'appelleront souvent "salaires" qui ne seront peut-être pas en rapport avec le savoir...Le travail y remédiera, ce que je leur souhaite !